CrossCheck est un projet unique de vérification collaborative de l’information en ligne, lancé le 6 février 2017 par First Draft, un réseau international d’organisations des secteurs médiatique, technologique et académique, avec le soutien du Google News Lab. Pour mieux comprendre les résultats de cette initiative, First Draft a demandé à des chercheurs de réaliser une analyse indépendante du projet. (Téléchargez le rapport ici.) Voici une synthèse de leur travail.
Présentation de CrossCheck
CrossCheck est un projet de journalisme collaboratif imaginé pour lutter contre la désinformation en ligne durant les dix semaines qui ont précédé l’élection présidentielle française de 2017. Il a regroupé 37 partenaires, parmi lesquels des rédactions, des universités, des organisations à but non lucratif, des entreprises du secteur technologique, dont Google et Facebook, ainsi que le public français, qui a soumis des questions.
CrossCheck a été conçu pour vérifier si une collaboration d’une telle ampleur pouvait améliorer les pratiques journalistiques en matière de suivi et de rectification des éléments de désinformation en ligne et rétablir un niveau de confiance plus élevé entre le public et les médias. Le projet a été récompensé par un prix de la Online News Association en octobre 2017.
Du 27 février au 5 mai 2017, plus d’une centaine de journalistes de 33 rédactions (dont 10 rédactions régionales) ont analysé les allégations et les rumeurs, ainsi que les images et les vidéos trafiquées qui circulaient sur les réseaux sociaux. Lorsque des informations trompeuses ou manipulées étaient largement diffusées en ligne, les participants élaboraient un article rectificatif, sous la supervision de l’Agence France-Presse (AFP), et la publiaient sur le site web de CrossCheck. Les rédactions partenaires couvraient aussi le sujet sur leur propre site et sur les réseaux sociaux. Ainsi, chaque article rectificatif touchait une audience beaucoup plus large que ne l’aurait fait une simple publication sur le site de CrossCheck.
Sur la durée du projet, 67 articles rectificatifs ont ainsi été publiés. Chaque article s’accompagnait d’une classification du contenu (par ex. : « vrai », « faux », « preuves insuffisantes », etc.) et d’une icône imaginée pour décrire le type de contenu (par ex. : « trompeur », « fabriqué », etc.). Il affichait également le logo des rédactions impliquées dans la procédure de vérification du contenu en question.
Principaux Résultats
Retombées pour les rédactions et les journalistes
- Les participants sont tombés d’accord sur le fait que ce type de travail ne devrait donner lieu à aucune concurrence et même être considéré comme un service public.
- Les journalistes engagés dans le projet ont indiqué avoir acquis de nouvelles compétences qu’ils mettent désormais à profit au sein de leur rédaction.
- La transparence de la méthode collaborative, qui impliquait de présenter son travail à d’autres rédactions, habituellement considérées comme concurrentes, a produit un journalisme de meilleure qualité. Les participants ont expliqué s’être responsabilisés les uns les autres.
- La prise de décision éditoriale collective a offert à des rédactions habituellement concurrentes la possibilité de décider ensemble des sujets à traiter et de ceux à ignorer pour ne pas alimenter de rumeurs.
- De manière générale, les contributions du public se sont avérées utiles et diversifi ées. Elles ont rappelé l’importance d’inclure le public dans les collaborations journalistiques futures.
Retombées pour le public
- Le fait que plusieurs rédactions collaborent entre elles a accru le niveau de confiance des personnes interrogées dans le traitement de l’information. Ces dernières lient l’indépendance, l’impartialité et la crédibilité imputées à CrossCheck au nombre d’organes de presse impliqués.
- Les explications relatives à la méthode utilisée pour vérifier une allégation ou un contenu ont inspiré une plus grande confiance et aidé le public à découvrir comment vérifier lui-même des informations.
- En plus d’avoir aiguisé son esprit critique, le public a également appris à faire preuve de réserve face aux contenus suscitant, par leur langage ou leur visuel, des réactions émotionnelles.
- Les personnes interrogées expliquent avoir partagé, aussi bien en ligne que hors ligne, des informations produites par CrossCheck avec des amis et des proches qui publiaient des informations inexactes relatives à l’élection. Certaines indiquent même les avoir ainsi fait changer d’avis quant à leur vote.
- Le fait que le projet regroupe des organes de presse régionaux semble constituer l’une des raisons pour lesquelles il a touché des personnes de tous horizons politiques. Son succès s’explique également par l’impartialité que le public lui a reconnu.
Considérations pour le futur
- La plupart des partenaires impliqués dans le projet ont tiré une véritable fierté de leur participation et sont prêts à réfléchir à une poursuite de leur collaboration.
- Des études supplémentaires doivent être réalisées pour identifier les manières les plus efficaces de produire des formats rectificatifs vidéos.
- Les rédactions ont réalisé la nécessité de mener une réflexion approfondie pour déterminer quand et comment couvrir ce type de sujets afin de ne pas jeter de l’huile sur le feu.
- Des tentatives similaires, lancées lors des élections au Royaume-Uni et en Allemagne, ont connu moins de succès en matière de collaboration entre rédactions. Il est donc essentiel de comprendre pourquoi CrossCheck a fonctionné en France à cette période spécifique.